22 juin 2025. Le réveil sonne à 4h15 du matin. Je me suis réveillée déjà trois fois cette nuit. La dernière semaine a enregistré mon record de tous les temps de nuits interrompues par l’insomnie. J’ai la chance de vraiment bien dormir en général, mais faire son premier triathlon, ça vient avec son lot de stress, d’angoisses, de questions qui spinnent dans la tête, et donc de sommeil perturbé.
Faire mon premier Ironman 70.3. C’est envahissant, se lancer ce genre de défi. J’ai littéralement passé les sept derniers mois à penser au triathlon chaque jour, sans exception. Ces dernières semaines, alors que j’étais ensevelie sous le poids de ce que ça représente comme investissement (en temps, en argent, en énergie), j’ai cherché en vain la raison pour laquelle je m’étais imposé tout ça. On est enfin arrivés au Jour J, et je n’ai pas encore trouvé la réponse.
C’est aujourd’hui que tout se joue. Je ris en voyant que ma montre évalue ma préparation à l’entraînement à 6% ce matin. Désolée Garmin, aujourd’hui ne sera pas jour de repos. Je m’accroche au fait que ce soir, tout ça sera (enfin) derrière moi. Je pourrai enfin parler d’autre chose et penser à autre chose.
Je déjeune -beaucoup trop tôt- sans avoir faim, une légère angoisse au fond du ventre. Mais dans quoi est-ce que je me suis embarquée? Pourquoiiii est-ce que je me fais subir çaaaaa.
Il fait déjà chaud dehors. Sur Facebook, les organisateurs du Ironman 70.3 Mont-Tremblant annoncent que l’eau du lac est à 16.8 degrés ce matin. “Sortez vos wetsuits et hydratez-vous!”. Je préfère ne pas regarder la météo pour le reste de la journée. J’ai peur que ça me joue dans la tête, vaut mieux se concentrer sur le moment présent. On se prépare nerveusement Sophie et moi. Depuis hier, je suis sur un genre de high nerveux: je parle trop et trop vite.
On arrive sur le site de l’événement vers 5h45. Je dépose mes effets personnels à ma station de transition et j’enfile tranquillement mon wetsuit, en observant les milliers d’autres fous crinqués qui ont eu la même idée que moi il y a quelques mois. Je nous trouve hot et courageux.
En se rendant vers la plage pour le départ de la nage, je me sens bien. L’ambiance est électrique; le sport a ce don de créer des moments absolument magiques. On chante même l’hymne national avant de lancer le coup d’envoi, je me sens comme une vraie athlète. À 7h00 tapant, le sifflet sonne sous les hurlements et applaudissements de la foule, et les nageurs les plus rapides s’élancent à l’eau. C’est par vagues de vitesses estimées que nous entrerons dans le lac. Il faudra endurer ma fébrilité pendant encore presque une heure sur la plage avant que le grand groupe de nageurs moyens dont je fais partie puisse enfin se mouiller. Vers 7h50, j’ai chaud et j’ai juste hâte de plonger; ça y est, c’est enfin notre tour, ma soeur et moi nous élançons vers l’inconnu dans les eaux du Lac Tremblant.
Le froid me coupe instantanément le souffle. J’avais oublié que ça risquait d’arriver. J’essaie de nager en crawl, mais j’en suis incapable, ma respiration est trop saccadée à cause du choc thermique. Je décide de nager en brasse, en gardant la tête hors de l’eau, le temps d’acclimater mon corps. Devant moi, un homme qui semble bien relax nage tranquillement sur le dos, et je choisis de l’imiter, le temps que ma respiration se régularise. Je regarde le ciel nuageux en pensant à la chance que j’ai d’être ici. Wow, ce moment est incroyable. Après quelques dizaines (centaines?) de mètres, je me réessaie au crawl; ok ça y est, je suis partie.
Sophie et moi, on réalise qu’on peut nager presque côte à côte et garder un contact visuel constant: elle respire à droite et moi à gauche. Ça nous calme et ça aide avec les repères; on décide de ne pas se lâcher des yeux. Fiou, ma tête est calme, je n’ai pas paniqué, je me sens bien, let’s do this! Étrangement, j’adore nager parmi autant de gens. On m’avait dit que je me sentirais probablement claustrophobe, mais au contraire, les centaines de personnes qui m’entourent me rassurent. C’est fou le feeling. J’ai l’impression de faire partie de quelque chose de grand et d’absolument unique.
Je reçois un coup de pied ici, un coup de coude par là, rien de trop déstabilisant; je poursuis ma route. Je perds la notion du temps, mais à chaque fois que je franchis une nouvelle bouée rouge, je me surprends à trouver que ça passe (trop) vite. Déjà le stretch de retour, mon dieu il ne faut pas que j’oublie d’en profiter! On sort de l’eau ensemble Sophie et moi, un peu plus de 45 minutes après y être entrées. J’en aurais presque pris plus, qui l’eût cru! Je n’arrive pas à croire que la première des trois épreuves est déjà terminée. Je pense à ma maman qui redoutait tellement la nage, elle doit être soulagée de savoir ses deux jumelles de retour les pieds sur la terre ferme.
Je jogge sur le long tapis rouge qui nous conduit jusqu’à la zone de transition, en secouant mes mains complètement gelées. Des centaines de personnes nous encouragent, nous félicitent, nous crient des conseils que je n’écoute pas.
Transition #1: je retire facilement mes items de nage, je mange une bouchée, je m’hydrate. Impossible de me dépêcher, j’ai besoin de mes doigts encore gelés pour enfiler mes bas et mes souliers de vélo. Quelques minutes s’écoulent, mes doigts retrouvent enfin leur mobilité. Casque, bas, souliers, vélo; je suis prête à repartir.
On se dirige vers la zone de départ, Sophie et moi. On est nombreux à monter sur notre vélo en même temps; quelle ambiance! Ça part.
Je me remercie déjà de n’avoir pas étudié le parcours; ce n’est que de l’inconnu devant et j’aime ne pas savoir ce qui m’attend. Je n’ai qu’à suivre les flèches vertes et les cônes rouges, et laisser le chemin se dessiner devant moi. Je perds Sophie de vue après quelques minutes à peine. On savait que c’est ici que nos routes se sépareraient, les entraînements qu’on a fait ensemble ont montré qu’elle était pas mal plus puissante que moi sur un vélo.
Après quelques minutes, je réalise que le mode triathlon de ma montre ne fonctionne pas; j’ai dû accrocher le mauvais bouton en retirant mon wetsuit; elle pense que je suis en train de courir. Je fais stop, ignorer, et je redémarre une nouvelle session de vélo. Je souris en me disant que c’est une bonne chose, ma montre sera off tout le long, je vais pouvoir profiter du moment encore plus, sans trop obséder sur mon pace.
L’épreuve du vélo est celle que je redoutais le plus. Je ne suis pas rapide, j’ai peu de puissance dans les jambes, et je n’ai pas beaucoup pratiqué les côtes. Mais étrangement, ce matin, je ne pense pas une seconde à mes craintes ni à mes faiblesses. Le paysage est magnifique, les centaines de cyclistes qui m’entourent m’inspirent et me portent, je vis de quoi de bien plus grand que mes angoisses de performance.
Route 117, je vois arriver les pros à toute allure en sens inverse, déjà sur le chemin du retour. Je les reconnais à leur vitesse, mais aussi à leurs casques et positions aéro et à leurs bombes de vélos de triathlon qui font un bruit magnifique en descendant. Wow, c’est tellement impressionnant.
Les bouchées de snacks que j’essaie de manger sur le vélo ne passent pas bien, au trentième kilomètre, je décide de m’arrêter pour un pit stop toilettes. Je sais que ma montre est off, mais je n’ai même pas envie de la regarder pour essayer d’estimer de combien de temps je vais me rallonger.
Les 90 km de vélo se dessinent comme une danse incroyable: je dépasse, je me fais dépasser, je grimpe, je descends, je me sens dans une valse parfaite et quasi-silencieuse. Seule, mais toujours accompagnée, dans un espace-temps vraiment spécial que je n’avais jamais expérimenté avant.
La route comprend beaucoup de pentes, c’est vrai, mais elles sont beaucoup moins pire que je ne me l’étais imaginé. Chaque montée me fait anticiper avec bonheur la descente qui suivra. J’envoie du love à mon vélo qui me fait vivre les plus belles sensations sur les descentes.
Je ne sais plus où j’en suis sur le parcours, mes pieds s’engourdissent, j’ai mal aux fesses, les bouchées que j’essaie de manger ne passent pas bien, mais je ne m’arrête à aucun de ces détails. Je pédale le sourire aux lèvres, émerveillée par l’expérience absolument unique que je suis en train de vivre. Le paysage est à couper le souffle, mon coeur se serre à quelques reprises, je suis totalement émue devant la beauté et la grandeur de cette expérience.
Je vois au moins 6-7 athlètes arrêtés sur le bord de la route à cause d’une crevaison. Je sympathise avec eux et me répète que ça ne m’arrivera pas aujourd’hui. Je croise ma soeur en sens inverse à deux reprises sur le parcours de vélo, on se fait de grands signes des mains, le sourire aux lèvres.
Plus le parcours avance, plus nombreux sont les athlètes qui descendent de leur vélo pour grimper les pentes à pieds. Je ne suis pas rapide, mais mes jambes vont bien, je n’ai pas l’intention de descendre de mon bike avant la fin. J’anticipais ces 90 kilomètres comme les plus longues et pénibles heures de ma vie, mais quand je croise l’affiche du 80e km, je suis surprise d’être déjà presque à la fin. Je me dis que ça doit faire près de 4 heures que je pédale, et étonnamment, à part les bouts de mes pieds qui sont bien engourdis et la bouffe qui ne passe pas, je me sens bien et je n’ai pas envie de chialer une seule seconde.
Je profite de ma dernière descente, vent en plein visage, je tourne le rond-point vers le village, et j’arrive finalement à la ligne d’arrivée. Épreuve 2 de 3; terminée. C’est vrai ce qu’on m’avait dit; il faut en profiter de son premier triathlon, parce que ça passe en un éclair.
Je descends de mon vélo, deuxième pause toilette avant le demi-marathon, juste au cas. Vélo sur le rack, on enlève les souliers et le casque, j’ai faim. J’enfile mes souliers de course et ma casquette, j’installe ma ceinture-dossard. Je mange un bout de bagel et de banane, le temps que le sang revienne dans mes orteils. La zone de transition est pleine de vélos, je suis clairement dans la queue du peloton, mais j’aime ma position. Je pense à ma soeur qui court déjà depuis plusieurs kilomètres, je me demande ce qu’elle vit.
Je me mets à courir sous les encouragements des bénévoles et de la foule. Kilomètre 1, le soleil sort, je n’ai aucune idée de l’heure qu’il est, je souris en pensant que je m’apprête à courir un demi-marathon, c’est de la folie, pareil! Je n’avais pas réalisé que la course se faisait le long du P’tit Train du Nord; je cours entourée d’arbres verdoyants, c’est magnifique, et encore là, je suis saisie d’émotions. Je me remercie de n’avoir pas de plan de match ni de pace auto-imposé. Ce sont mes jambes et mon corps qui me guident aujourd’hui et j’aime tout de ce qu’ils me font vivre.
Sur le parcours de course, je marche souvent et je m’arrête à chaque station de ravitaillement: une gorgée d’eau, un peu de glace dans le trisuit. Je retourne même faire une pause pipi à mi-chemin. Je sais que je pourrais courir plus vite, mais je n’en ai pas envie. Mon chrono final me paraît bien futile à côté du niveau de joie que je ressens.
Quelque part vers le 5e kilomètre, j’ai ma petite épiphanie; je réalise que je n’ai pas eu une seule pensée négative de la journée. Pas une seule fois, je ne me suis dit : tu es trop lente, tu ne réussiras pas, tu devrais abandonner, tu aurais dû mieux tester ta nutrition, tu es plus faible que ta soeur jumelle, qu’est-ce que les gens vont dire, tu devrais pousser plus, ton pace est trop lent…
PAS UNE SEULE FOIS.
J’ai réussi, que je me dis, les larmes aux yeux.
J’ai gagné ma bataille intérieure.
C’était ça, mon défi. C’est pour ça que j’ai fait tout ça.
J’ai réussi à faire taire mon égo de performance et de comparaison.
Tous les doutes, toutes les peurs, toutes les angoisses et les remises en question de ces mois d’entraînements ont culminé en ce moment: ma tête est complètement vide et calme. Je suis 100% présente. Je n’écoute que mon corps et mon ressenti, et je me sens en accordance parfaite dans tout mon être.
Je me dis que ça doit ressembler à ça, la liberté.
It’s all about love. Je repense à ces mots que j’avais eus en rêve il y a quelques mois.
Les stats, le chrono, le classement, rien de tout ça n’a d’importance. Il n’y a que l’amour qui compte. Peu importe ce qu’on fait, un triathlon ou autre chose. Le faire dans l’amour.
Je me dis que la souffrance est souvent celle qu’on s’auto-inflige. Que j’aurais grandement souffert aujourd’hui, si j’avais choisi de suivre un rythme dicté par ma tête ou ma montre. J’ai choisi de ne pas “me pousser” au nom de ce sacro-saint dépassement de soi, et en retour, j’ai vécu l’une des plus belles journées de ma vie.
Je repense à notre obsession collective pour la vitesse, ce sujet qui m’avait longuement fait réfléchir dernièrement. Quelque chose me dit que c’est peut-être moi qui détient une partie de la réponse à nos maux, en terminant parmi les derniers, souriante et heureuse.
Au 10e kilomètre, je suis surprise par les encouragements de mes neveux et de mon beau-frère qui crient mon nom avant le demi-tour vers le village. Quel bonheur d’avoir ma famille ici. Je cours mes derniers kilomètres le sourire aux lèvres, en remerciant chacun des bénévoles qui me tend un verre d’eau ou de glace. J’observe les coureurs de tous âges et de toutes silhouettes; je les admire, j’imagine leur bataille intérieure, les montagnes qu’ils ont dû traverser eux aussi pour se rendre jusqu’ici.
Le tapis rouge arrive devant moi. Les cris des spectateurs me portent jusqu’à l’arrivée, où ma soeur jumelle m’accueille à bras ouverts. On pleure de joie et de fierté. C’est moi qui l’avait entraînée dans cette idée folle sept mois plus tôt; heureusement, elle ne m’en veut pas, au contraire. On n’en revient pas de l’expérience incroyable qu’on vient de vivre. J’apprendrai un peu plus tard qu’elle a franchi la ligne d’arrivée exactement une heure avant moi. 6h31 pour elle, 7h31 pour moi. Ça ne s’invente pas.
Je suis fière d’elle autant que de moi. Pas une seconde je ne me dis que j’aurais dû faire mieux.
Mon égo de performance est mort.
J’ai gagné la plus belle des médailles.
Plus tard dans la soirée, on me demande quelle épreuve j’ai trouvé la plus difficile. Je cherche, mais je ne sais pas quoi répondre. Aucune? Je n’ai pas trouvé ça difficile. J’ai trouvé ça drôlement inconfortable, bien sûr, mais je n’ai pas souffert. Ni physiquement, ni mentalement.
Je suis immensément fière d’avoir parcouru ces 113 km le coeur plein et le sourire aux lèvres (comme en témoignent mes photos-souvenirs). Immensément reconnaissante d’avoir été si bien entourée pour vivre ça.
La santé, la famille, l’amour.
Ce sont les choses qu’on se souhaite, en vieillissant. Je n’ai peut-être pas grand chose dans la vie, mais j’ai les trois plus importantes.
Je me rappellerai toute ma vie de cette journée absolument incroyable-inoubliable.
Est-ce que je referai un autre demi-Ironman, finalement? Si c’est pour revivre cette euphorie encore et encore, je n’hésite pas une seconde: OUI !
Merci d’avoir partagé ça avec nous! J’ai adoré lire ton récit. Et quel exploit! 🫶✨❤️
Awwww, je braille encore! Que c'est beau et que c'est bien décrit. Tes mots me font revivre ma propre journée dans toutes ses micro subtilités (à quelques détails près hihi). Quel moment magique! Merci de l'avoir si bien écrit et de l'avoir vécu avec autant de présence, d'amour et d'émerveillement. Je suis ta plus grande fan <3 xxx